Mémoire du 5 août 2004



COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS


MÉMOIRE AMPLIATIF


APPEL CONTRE UN JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE VERSAILLES


REQUÉRANT : Monsieur Henry de Lesquen, conseiller municipal de Versailles (Yvelines), président du groupe “Union pour le Renouveau de Versailles (U.R.V.)”, domicilié au 35 rue des Bourdonnais, 78000 Versailles.


REQUÊTE : Annulation du jugement en date du 14 mars 2002 du Tribunal administratif de Versailles rejetant ma requête tendant à l’annulation d’une délibération du conseil municipal de Versailles en date du 28 juin 2001 qui autorise la cession de l’ensemble immobilier “Le Panier Fleuri” situé à l’angle des avenues de l’Europe et de Saint-Cloud à la société Léon Grosse.


 

Le présent mémoire a pour objet principal de présenter les observations du requérant sur le rapport de l’expert désigné par la Cour administrative d’appel de Paris dans l’affaire dite du “Panier fleuri”.

 

 

I - Observations préalables

 

1 - L’avis du Service des domaines du 15 juin 2001

 

Le rapport de l’expert reprend, page 6, le tableau récapitulatif de l’estimation des domaines qui figurait, également en page 6, dans le mémoire ampliatif du requérant en date du 15 avril 2003, ainsi que dans la note adressée par le requérant à l’expert le 27 mai 2004 (production n° 1). Nous le reproduisons ci-dessous (en désignant, par commodité, les trois parcelles par les lettres A, B et C).

 

Panier fleuri - Estimation des Domaines

Emprise

Cadastre

m2

Nature

Minimum (FRF)

Maximum (FRF)

Moyenne (FRF)

A

AI 271, 272, 258 P

857

Terrain

9.100.000

10.000.000

9.550.000,00

B

AI 296 (ex-AI 259p)

65

Terrain

630.000

690.000

660.000,00

 

Sous-total

922

Terrain

9.730.000

10.690.000

10.210.000

C

AI 259p, AI 258p

110

Immeuble

810.000

890.000

850.000,00

Total

 

1.032

 

10.540.000

11.580.000

11.060.000

 

Il est ainsi incontestable que le Tribunal administratif s’est trompé, lorsqu’il déclare (pp. 4 et 5 du jugement) que l’estimation produite par l’avis du 15 juin 2001 “était comprise entre 9,1 millions de francs et 10 millions de francs pour une surface totale de 4.269 m2, alors qu’elle était comprise, en réalité, entre 10,54 millions de francs et 11,58 millions de francs : il n’a pris en compte que l’un des trois documents (première ligne du tableau), en omettant d’ajouter le prix des parcelles visées dans les deux autres.

Il est également incontestable que le prix de vente retenu par la Ville de Versailles dans la délibération du 28 juin 2001, soit 9.600.000 F, est nettement inférieur au minimum de l’estimation des domaines, soit 10.540.000 F, et davantage encore à la moyenne de la “fourchette” de cette estimation, qui s’élève à 11.060.000 F : l’écart est de 1.460.000 F.

 

2 - Les erreurs de calcul commises par l’expert

 

Dans son rapport, l’expert a commis trois erreurs de calcul. Deux d’entre elles sont mineures, mais l’une est considérable : nous commencerons par celle-ci.

 

A - L’expert procède à une estimation par différence entre le chiffre d’affaires et le prix de revient, en page 13 de son rapport (voir production n° 2). A la ligne 5, il écrit avec exactitude : “soit CA théorique de 3.129 m2 utile X 17.000 = 53.193.000 F”.

Mais, à la ligne 18 (avant-dernière ligne de la page), il écrit par erreur, pour l’estimation de la charge foncière :

51.193.000 - 41.310.349 = 9.882.651

La soustraction est arithmétiquement exacte, mais il a mal recopié le montant du chiffre d’affaires qui figurait à la ligne 5. Il aurait dû évidemment écrire :

53.193.000 - 41.310.349 = 11.882.651

C’est-à-dire qu’une simple faute de frappe conduit l’expert à diminuer de 2.000.000 F l’estimation à laquelle il aurait dû aboutir, selon la méthode qu’il avait lui-même choisie !

 

B - L’expert a commis deux autres erreurs de calcul, qui sont de moindre importance.

 

a) A la page 11 de son rapport, l’expert apporte un abattement sur la surface hors œuvre nette de l’opération (S.H.O.N.), pour tenir compte du fait qu’elle inclut un lot dont la société Léon Grosse est déjà propriétaire, lot qui représente, selon lui, 80 m2 de surface au sol. Il établit alors un “rapport de constructibilité”, en écrivant (ligne 8) :

4.269 m2 (constructibilité) / 1.044 m2 (surface au sol) = 4,08

Ce calcul est, bien entendu, fautif, puisque la constructibilité doit être rapportée à la surface au sol totale, y compris les 80 m2 qui appartiennent déjà à Léon Grosse, soit 1.044 + 80 = 1.124 m2 . L’expert aurait donc dû écrire :

4.269 m2 (constructibilité) / 1.124 m2 (surface au sol) = 3,80

L’abattement à effectuer sur la S.H.O.N. totale est donc de :

3,80 X 80,1 = 303,84 m2 - au lieu de 4,08 X 80,1 = 326,80 m2

La surface à retenir pour l’estimation est alors de 3.965,16 m2, légèrement supérieure à celle qui résulte du calcul de l’expert, soit 3.942,2 m2.

Cependant, cette erreur est sans conséquence pour la suite de son calcul, car l’expert préfère adopter, sans que l’on en comprenne bien la raison, la valeur avancée par la Ville, soit 3.911 m2 seulement, pour la S.H.O.N. attribuable à l’opération, valeur inférieure à son propre calcul, et encore davantage au calcul rectifié indiqué ci-dessus.

 

b) A la page 13 du rapport, ligne 10, l’expert écrit :

Charge foncière 3 %       53.193.000 X 3 % = 1.597.579

Le calcul n’est pas exact. La multiplication donne un résultat légèrement différent :

“Charge foncière 3 %       53.193.000 X 3 % = 1.595.790

Cela signifie que, toutes choses égales d’ailleurs, le total des coûts aurait dû ressortir à 11.976.060 F (au lieu de 11.977.849 F), et le prix de revient total de l’opération à 41.308.560 F (au lieu de 41.310.349 F).

 

C - Une fois corrigé, le calcul de l’expert aboutit, en réalité, à une estimation de 11.884.440 F, sensiblement supérieure à celle de l’avis des domaines du 15 juin 2001, conformément au tableau ci-joint (production n° 3). A noter que ce calcul corrigé reste fondé sur la S.H.O.N. de 3.911 m2 avancée par la Ville, et non sur celle de 3.965,16 m2 évoquée ci-dessus.

Le requérant aurait évidemment signalé ces erreurs à l’expert, si ce dernier lui avait communiqué son projet de rapport, dans le cadre de la procédure contradictoire, avant de remettre à la Cour le document définitif. Cela n’a malheureusement pas été le cas. Après avoir découvert lesdites erreurs, le requérant a donc jugé utile de consulter un autre expert, M. Jacques de Prunelé, qui est agréé près la Cour d’appel de Versailles. Ce dernier n’a pas estimé possible de refaire ni même de vérifier l’ensemble de l’étude, mais il a bien voulu confirmer, dans un courrier du 31 juillet 2004, (avec les précautions de style qui sont d’usage à l’égard d’un confrère) les deux corrections que nous avons signalées (production n° 4).

 

3 - L’indemnité d’éviction

 

L’expert n’a fait aucun commentaire sur l’estimation de l’indemnité d’éviction, évaluée à 2.200.000 F dans la délibération attaquée du 28 juin 2001, alors que l’indemnité réelle a été finalement inférieure de 350.000 F.

Comme le requérant a eu l’occasion de le dire lors des débats du conseil municipal du 21 janvier 2003, il est tout à fait normal que la Ville verse directement l’indemnité d’éviction due aux exploitants, au lieu d’en charger Léon Grosse. Mais cette indemnité s’élève finalement à 282.030,68 EUR, soit 1.850.000 F, alors que la délibération initiale du 28 juin 2001 la fixait à 335.387,83 EUR, soit 2.200.000 F. Le maire a déclaré, à cet égard, que la Ville avait laissé le soin à Léon Grosse de négocier l’indemnité d’éviction. De fait, la délibération du 28 juin 2001 confie à la société la responsabilité d’indemniser les exploitants et de négocier avec eux, sans prévoir pour autant que la réduction éventuelle du prix obtenue par rapport à l’estimation initiale de 2.200.000 F fasse retour à la Ville.

Ainsi, le prix réel consenti à Léon Grosse dans la délibération attaquée du 28 juin 2001 n’était pas de 9.600.000 F, contrairement aux apparences, mais bien de 9.600.000 - 2.200.000 + 1.850.000 = 9.250.000 F. En faisant discrètement “cadeau” à Léon Grosse de la différence entre l’indemnité d’éviction supposée et l’indemnité réelle, soit 350.000 F, la Ville a fixé le prix de vente réel à 1.810.000 F en dessous de la moyenne de l’estimation des Domaines.

Il est regrettable que l’expert ne se soit pas penché sur ce point de la discussion, qui était pourtant bel et bien dans sa mission. Il se borne à écrire, page 14, que “les sorties d’opérations immobilières sont difficiles tant que l’on n’a pas pu acter une transaction avec un propriétaire de fonds de commerce” et que “les négociations sont généralement longues, difficiles, ardues, pour un montant qui reste aléatoire”. Certes, mais cela ne nous dit pas ce qu’il pense de l’estimation qui a été faite de cette indemnité d’éviction ni s’il trouve normal que l’économie éventuellement réalisée sur ce point reste la propriété de l’opérateur, au lieu de retourner à la Ville.

 

II - Discussion de l’estimation des domaines

 

1 - La rétention des informations par la Ville

 

L’expertise a eu le grand mérite de mettre au jour les divers documents établis par le service des domaines pour l’estimation qui lui avait été demandée en 2001 : pour chacune des trois parcelles que nous désignons par les lettres A, B et C, la Cour et les parties disposent maintenant de trois documents, que nous avons numérotés 1, 2 et 3 (ce qui fait au total neuf documents : productions 5 à 13). L’avis des Domaines proprement dit est constitué des trois lettres adressées au maire A1, B1 et C1, qui n’avaient pas été remises aux conseillers municipaux pour la séance du 28 juin 2001 et qui n’avaient pas non plus été communiquées au requérant lors de la commission de l’urbanisme qui avait eu lieu deux jours avant, malgré sa demande. C’est pourquoi le requérant avait déclaré, lors des débats du 28 juin 2001 : “On nous a dit à la commission que cette estimation est de 10,54 MF.” C’était, en effet, la seule indication qu’il avait pu obtenir, de la bouche de M. Alain Schmitz, qui était alors adjoint au maire, chargé de l’urbanisme, et qui a démissionné depuis. Ce montant était, en réalité, le minimum de la fourchette.

Si la Ville a consenti à communiquer les lettres au maire A1, B1 et C1 au cours des débats du présent procès, elle a continué à dissimuler les documents A2, B2 et C2, qui étaient certainement joints auxdites lettres, et qui étaient destinés à justifier l’estimation produite. Ces trois documents A2, B2 et C2 ont été remis au requérant par l’expert, à la réunion du 4 mai 2004, en même temps que les documents A3, B3 et C3, qui sont des documents internes à l’administration des domaines et qui traduisent, en réalité, une approche très différente de la question, à tel point que l’on peut parler de deux estimations des domaines, dont la dernière est restée confidentielle.

 

2 - L’estimation initiale et officielle

 

C’est celle qui fait l’objet des trois documents A2, B2 et C2, que nous avons commentés dans la note que nous avons adressée à l’expert le 27 mai 2004 (production n° 1). Elle correspond au tableau qui figure ci-dessus, en page 2.

Contrairement aux apparences, ces trois avis distincts ne tiennent pas compte du projet global. Il est vrai que l’on peut lire, pour les emprises A et B, dans la définition de la nature du bien : “terrain à bâtir (opération de construction de bureaux à l’exclusion de logements, pour une SHON de 4.269 m2 comme précisé dans votre demande)”, mais la lecture des fiches montrent que cette référence était purement platonique et qu’elle n’est pas intervenue dans le calcul.

Ainsi, pour l’emprise A, la fiche mentionne seulement la S.H.O.N. estimée lors de la précédente étude, soit 2.545 m2, et ne parle à aucun endroit de celle du projet réel. Or, une simple règle de trois permet de conclure qu’une S.H.O.N. de 2.545 m2 pour une emprise de 857 m2 correspond, pour un total de 1.032 m2 au sol, à une S.H.O.N. de 3.064 m2, très inférieure à la valeur réelle de 4.269 m2. Le fait qu’il soit rappelé, au passage, que le P.O.S. a été modifié le 26 janvier 2001 n’ôte rien à cette observation, dès lors qu’aucune conséquence n’a été tirée de ce rappel.

Pour l’emprise B, il est bien écrit dans la fiche : “En bloc avec les parcelles limitrophes, il s’agit d’un ensemble d’emprises qui offrent des droits à construire élevés, compte tenu de la volumétrie issue des nouvelles dispositions du POS révisé”, mais, là encore, aucune conséquence n’est tirée de cette remarque et l’auteur de la fiche ne nous explique pas pourquoi il retient ici un prix de seulement 10.200 F/m2 au sol, au lieu de 11.200 F/m2 pour l’emprise A (on lit, au contraire, dans la note complémentaire A3, page 5 : “Observation : une valeur de... 11.200 F/m2, également retenue pour la petite emprise à estimer distinctement.” Comprenne qui pourra !).

Pour l’emprise C, il est parfaitement clair que l’estimation ne tient aucunement compte de l’opération à réaliser, puisque c’est l’immeuble bâti lui-même qui est estimé, compte tenu de sa vétusté, alors même qu’il est promis à la démolition. Il aurait fallu appliquer le même prix au m2 de terrain que pour les deux autres emprises, quitte à déduire le coût de la démolition.

Ainsi n’y a-t-il pas eu d’évaluation globale, comme il aurait été pourtant normal, et l’on peut penser que la somme des prix de vente des trois emprises, prises séparément, est inférieure au prix de vente de l’ensemble, considéré comme un tout. Or, c’est ce dernier prix qui devait être pris en considération. De surcroît, aucune des trois estimations séparées ne tenait compte des droits de construire du projet réel.

 

3 - L’estimation complémentaire et confidentielle

 

Il faut croire qu’il y a eu des interrogations, au sein du service des domaines, sur le bien-fondé de l’estimation initiale, puisque l’on a demandé à l’auteur de ladite estimation d’établir une étude complémentaire, qui fait donc l’objet des notes A3, B3 et C3 (on peut négliger les deux dernières notes, dans la mesure où la note A3 considère le projet dans sa globalité). De fait, la méthode adoptée cette fois-ci, qui figure aux pages 4 et 5 de la note A3 (production n° 7), est beaucoup plus solide : il s’agit d’une estimation “par compte à rebours”, qui consiste à se placer du point de vue du promoteur et à soustraire le prix de revient de la construction de son prix de vente. C’est cette méthode par compte à rebours qui doit être la référence, puisqu’après le service des domaines elle a été retenue par l’expert dans la page 13 de son rapport ci-dessus mentionnée (quelle que soit, du reste, les erreurs de calcul qui ont pu être commises). M. Jacques de Prunelé écrit, à ce propos : “Je note d’ailleurs que la méthode qu’il (M. Yves Lehuérou Kerisel) emploie, appelée celle du compte à rebours, est appropriée au cas d’espèce.

Si la méthode est donc incontestable, tout dépend, évidemment, des paramètres retenus et, en particulier, du prix de vente du m2 de surface utile. En supposant que le m2 soit vendu à 17.000 F, le service des domaines arrive ainsi à une estimation globale de 12.966.400 F, qui est sensiblement supérieure à l’estimation officielle.

Le calcul figure en page 4 de la note A3, étant observé que la déduction des “sommes consacrées à l’acquisition des emprises limitrophes” (c’est-à-dire des emprises B et C) n’a de sens que si l’on s’intéresse séparément à l’emprise A, mais n’a pas lieu d’être, dès lors que l’on recherche une estimation globale.

On peut, au demeurant, écarter le calcul sommaire évoqué en page 5 de la note A3 et intitulé : “méthode par estimation directe au m2 S.H.O.N.”, en raison de sa rusticité, qui ne permet pas de justifier la valeur de 2.200 F/m2 utilisée ici. Il s’agit apparemment d’un artifice, par lequel l’auteur de la note s’efforce, avec difficulté, de justifier son estimation initiale, sans y parvenir réellement.

 

III - Discussion de l’estimation de l’expert

 

1 - Analyse des termes du rapport

 

L’expert a eu le grand mérite, nous l’avons dit, de mettre au jour les calculs du service des domaines. Il s’est ensuite contenté de reproduire la méthode et les paramètres retenus dans la note A3, en modifiant toutefois la S.H.O.N., ramenée de 4.269 m2 à 3.911 m2.

- De la page 3 à la page 8, le rapport rappelle la procédure et décrit l’état des lieux. On peut s’étonner, page 7, de la rédaction du paragraphe intitulé “d. Qualités et défauts de l’emplacement”, où, après avoir sommairement évoqué une “excellente desserte”, une “belle adresse à proximité du Château” et la “possibilité de parking public”, il énumère une série d’inconvénients qui méritent la discussion, sans répondre sur certains points aux observations émises par le requérant au cours des deux réunions d’expertise et dans sa note du 27 mai 2004 déjà mentionnée. Pourquoi, par exemple, mentionner que l’immeuble du Panier fleuri est devenu dangereux (?), alors que l’opération suppose sa démolition, en tout état de cause ? Et pourquoi parler de l’accord à trouver avec Monoprix, sans remarquer la valeur de convenance que l’opération représente pour cette société (cf. page 4 de la note du requérant) ?

Page 8, l’expert reprend, sans discussion, les déclarations de la Ville sur les négociations avec Monoprix en 1992, qui nous paraissent sujettes à caution (cf. notre note, page 4).

L’opérateur a été dispensé de construire un parking en sous-sol de l’immeuble, par dérogation aux règles de l’urbanisme. Cette mesure est présentée par l’expert comme une contrainte technique (page 7), non comme une faveur. Il aurait pu ajouter qu’elle n’avait pas d’inconvénient fonctionnel pour la construction, eu égard à la proximité de deux parkings publics, l’un, souterrain, avenue de Saint-Cloud, l’autre, en surface, avenue de l’Europe, mais qu’elle devait se traduire par une diminution sensible du coût de la construction.

 

- Pages 9 et 10, le rapport reproduit l’exposé des motifs et la délibération du 28 juin 2001 (sans guillemets).

 

- Le calcul de l’estimation est conduit de la page 11 à la page 13. Le rapprochement de la page 13 du rapport et de la page 4 de la note A3 du service des domaines montre que l’expert a suivi très fidèlement la méthode et les paramètres retenus dans ladite note. Mis à part les erreurs de calcul commises par l’expert, la seule différence est qu’il a réduit la S.H.O.N. à prendre en compte, ramenée à 3.911 m2, comme le demandaient les autres parties, au lieu de 4.269 m2.

S’il est vrai, comme l’affirme maintenant la commune, que les 4.269 m2 de S.H.O.N. prévus dans l’opération supposent que soit utilisé le lot acheté par la société Léon Grosse dans la copropriété voisine, qui représenterait 80 m2 de surface au sol, il n’en demeure pas moins que la méthode utilisée par l’expert, à la demande des autres parties, méthode qui consiste à faire un abattement sur la surface globale, ne paraît pas rigoureuse. Il aurait fallu plutôt déduire de l’estimation globale le prix du lot déjà détenu par Léon Grosse (à l’instar du calcul conduit par le service des domaines dans la note A3, pour estimer le prix de la parcelle A indépendamment des parcelles B et C).

De plus, on remarquera que l’expert n’a pas réduit le prix de revient de la construction, estimé par le service des domaines à 7.500 F/m2. Il n’a donc pas tenu compte de la dispense de parking, qui devrait pourtant se traduire par une économie importante.

 

- Pages 14 et 15, l’expert cite en vrac quelques éléments de discussion, qu’il évacue rapidement, avant de répéter son résultat erroné de 9.882.651 F. Il souligne : “L’estimation des domaines est donc justifiée.” Mais, s’il a avancé quelques raisons pour justifier l’abattement de 20 %, plutôt élevé, qui permet de passer de la S.H.O.N. à la surface utile, ainsi que le coût de construction de 7.500 F/m2, en affirmant qu’il “peut être plus faible à l’époque, mais (qu’)il ne faut pas négliger les incidences propres de l’architecture du site et des matériaux retenus”, il ne discute aucunement du prix de 17.000 F par m2 de surface utile, qui est pourtant le paramètre essentiel.

L’expert indique seulement, à cet égard : “Le prix de sortie de l’opération doit être déterminé en juin 2001 et non en 2003 ou en 2004”, sous prétexte que “la promotion immobilière est un métier à risque”. Il est pourtant clair, au contraire, que la supériorité de la méthode du compte à rebours tient au fait qu’elle adopte le point de vue du promoteur est que celui-ci évalue nécessairement le prix de vente du m2 à la date de réalisation de la vente. Si l’opération avait été lancée en 2001, comme le voulait la délibération attaquée, les bureaux et commerces n’auraient pas pu être mis en service avant 2003. Ce sont donc les prix du marché qui prévalaient en 2003, ou ceux que l’on pouvait prévoir en 2001 pour 2003, dans le contexte d’un marché haussier, auxquels il faut se référer, et non ceux de 2000 ou 2001.

 

2 - Mérites et insuffisances de l’expertise.

 

Après avoir rappelé quelle était l’estimation fournie par les domaines en juin 2001, qui devait servir de base à la délibération du 28 juin 2001, l’expertise a eu le grand mérite, répétons-le, de mettre au jour l’ensemble des documents des domaines, et surtout la note A3. L’expert a, fort justement, retenu la méthode du compte à rebours. Ensuite, mis à part l’abattement apporté à la S.H.O.N., l’expert s’en est tenu strictement aux éléments de ladite note, sans en changer aucun. Indépendamment de la lourde erreur de calcul qu’il a commise, l’expert ne fournit aucune discussion du paramètre essentiel, le prix du m2 de surface utile, pour lequel il se contente de reprendre le montant de 17.000 F/m2 adopté par les domaines. Sa contribution est donc décevante.

 

IV - Le prix de vente du m2 de surface utile

 

1 - Les références de prix

 

Nous avions joint à notre mémoire du 15 avril 2003 un numéro de l’hebdomadaire L’Express, daté du 6 septembre 2001, qui contenait un dossier sur le prix des biens immobiliers dans les Yvelines. Il y était indiqué que le prix du mètre carré était compris entre 20.000 F et 25.000 F dans le quartier Notre-Dame de Versailles, où se situe le Panier fleuri. Et, compte tenu de l’emplacement très privilégié de cet ensemble immobilier, sur l’avenue de Saint-Cloud qui mène à l’autoroute A 13 et à Paris, ainsi que sur l’axe Nord-Sud qui structure la Ville en passant par l’avenue de l’Europe, nous indiquions que le prix devait se situer ici en haut de la fourchette. Mais l’expert n’a nullement pris en considération cet élément d’information, qui l’aurait conduit à remettre en cause le prix de 17.000 F qu’il a retenu sans discussion, à la suite du service des domaines.

Il s’agissait, dans ce dossier de L’Express, des ventes réalisées en 2001. Or, la vente des bureaux et des commerces de l’opération en cause devait alors lieu au mieux en 2003, compte tenu des délais de construction. A cet égard, nous avons une référence encore plus incontestable, puisqu’elle figure dans le rapport de présentation du plan local d’urbanisme adopté le 12 juillet 2004 par le conseil municipal de Versailles. Dans ce document, établi donc sous la responsabilité de l’actuelle municipalité, on peut lire, page 121 : “Ces dernières années, les prix ont considérablement augmenté à Versailles, pour atteindre, aujourd’hui, les valeurs parisiennes. Les dernières grandes opérations d’envergure (rue du Maréchal Gallieni et avenue de Sceaux) ont atteint 30.000 F/m2” (production n° 14). Sachant que la commercialisation des locaux de l’opération du Panier fleuri devait être réalisée en 2003, on peut légitimement se référer à cette valeur de 30.000 F/m2 qui est citée par la mairie elle-même. Autrement dit, la valeur de 17.000 F/m2 qui a été retenue par les domaines dans leur note complémentaire A3 et qui a été suivie sans discussion par l’expert est probablement très inférieure à la réalité du marché.

Dans la note A3, en pages 3 et 4, le service des domaines donne six références pour des ventes de commerce et de bureau à Versailles, avant de retenir la valeur de 17.000 F/m2. Les opérations qu’il cite ont eu lieu en 1999 ou 2000, une seule en 2001, et aucune ne paraît aussi bien située que le projet du Panier fleuri. Surtout, il semble qu’il ne s’agisse jamais de locaux neufs, ce qui est expressément précisé dans quatre cas. La vente qui paraît se rapprocher le plus du projet du Panier fleuri, en termes de localisation, est celle qui a eu lieu rue Hoche, en 1999, pour un local construit en 1996 : or, le prix de vente a été, dans ce cas, de 18.355 F/m2. On voit mal comment on aurait pu obtenir moins, en 2003, pour les bureaux et commerces du Panier fleuri.

 

2 - Une localisation exceptionnelle

 

L’étude des domaines autant que le rapport de l’expert s’étendent sur les inconvénients réels ou prétendus du site, mais ils sont plus discrets sur les avantages exceptionnels de sa localisation. L’ensemble du Panier Fleuri se trouve au coin de l’avenue de Saint-Cloud, qui relie Versailles à Paris par l’autoroute, et à proximité du Château. Il est à deux pas du centre administratif : Hôtel de Ville, Tribunal d’instance et Cour d’appel, Préfecture, Trésorerie, Poste... Il est situé sur l’axe nord-sud de Versailles, qui va de l’avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny à la rue Royale, en passant par l’avenue de l’Europe, et qui est l’axe structurant majeur de l’urbanisme versaillais pour les vingt prochaines années. Il est à mi-chemin des deux gares de Versailles Rive-Gauche et Versailles Rive-droite, au voisinage immédiat de la station centrale des autobus, tout près du parking souterrain de l’avenue de Saint-Cloud et en face du parking de surface de l’avenue de l’Europe. On ne voit pas de meilleur emplacement, à Versailles. C’est pourquoi le prix de vente des locaux devrait se situer au haut de la fourchette, donc à 30.000 F/m2.

 

3 - Sensibilité de l’estimation au paramètre prix

 

Le calcul de l’estimation fondé sur la méthode du compte à rebours est extrêmement sensible aux paramètres retenus, et notamment au prix de vente de la construction. Le calcul de l’expert, après correction des deux erreurs d’arithmétique, aboutit à 11.884.440, avec 17.000 F/m2 . Sans rien modifier d’autre que le prix de vente, on obtiendrait (voir production n° 15) :

 

- Pour 18.000 F/m2, une estimation de 15.013.440 F

- Pour 19.000 F/m2, une estimation de 18.142.440 F

- Pour 20.000 F/m2, une estimation de 21.271.440 F

- Pour 25.000 F/m2, une estimation de 36.916.440 F

- Pour 27.000 F/m2, une estimation de 43.174.440 F

- Pour 30.000 F/m2, une estimation de 52.561.440 F

 

On peut déduire de ces calculs de sensibilité que, si la promotion immobilière est “un métier à risques”, comme l’a fait remarquer l’expert, l’opérateur pouvait augurer davantage de profits que de pertes, en la circonstance.

 

V - Le critère de l’estimation

 

L’expert s’est employé, comme le lui a demandé la Cour, à estimer le prix de l’opération pour l’acheteur, sur la base du projet qui avait été arrêté. On ne saurait le lui reprocher. Mais, pour déterminer l’avantage éventuel qui aurait pu être consenti par la commune à la société Léon Grosse, il faut aussi se demander combien elle aurait pu obtenir pour un autre projet d’un autre opérateur, si elle avait vendu au plus offrant. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir une estimation solide du projet particulier élaboré par Léon Grosse, il faudrait aussi savoir le prix maximum que la Ville pouvait tirer du terrain, dans le cadre d’une mise en concurrence. Tout ce que l’on peut dire, à cet égard, c’est que la concurrence aurait tiré les prix vers le haut et que la localisation exceptionnelle de l’opération aurait certainement conduit les candidats à envisager des prix de vente très élevés.

 

VI - Conclusions

 

En conclusion, on observera que le rapport de l’expert confirme l’écart que nous avions relevé entre le prix de vente consenti par la Ville dans la délibération attaquée du 28 juin 2001, soit 9.600.000 F, et l’estimation qui lui avait été communiquée par les domaines, soit 11.060.000 F (moyenne de la fourchette). Et l’on ne peut pas contester que la différence entre l’indemnité d’éviction estimée et celle qui a été réalisée, soit 350.000 F, réduit d’autant le prix de vente réel, qui se trouve ramené à 9.250.000 F.

Dans la mesure où des liens sont établis entre, d’une part, l’entreprise Léon Grosse, et, d’autre part, le maire et son adjoint aux finances, qui ont reçu des dons de ladite entreprise, le fait de vendre à celle-ci en dessous de l’estimation des domaines et sans mise en concurrence suffit à constituer le détournement de pouvoir.

 

La Ville de Versailles a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt avant dire droit de la Cour qui a ordonné une expertise, en affirmant que cette décision d’expertise était “frustratoire”. Cependant, le 12 juillet 2004, au cours de la séance du conseil municipal, le maire a affirmé que l’expert avait justifié le prix consenti par la Ville et cette “information” a été reprise dans la presse (production n° 16). Apparemment, ses collaborateurs ne lui avaient pas signalé la faute de frappe. Une fois corrigée de ses erreurs de calcul, l’expertise aboutit, en réalité, à une estimation de 11.884.440 F, nettement supérieure à l’estimation officielle des domaines. Elle ne peut donc que confirmer, en l’aggravant, la conclusion de détournement de pouvoir.

 

Enfin, la discussion à laquelle nous nous sommes livrés à propos du prix de vente et de la sensibilité de l’estimation à ce paramètre tend à démontrer que le calcul (corrigé) de l’expert constitue un minimum et qu’il n’est pas exclu que les espérances de l’acheteur ait été tout autre, peut-être proche des estimations les plus élevées que nous avons évoquées.

 

Au terme de cette analyse, on ne peut qu’être frappé de la série des négligences ou complaisances qui se sont accumulées dans cette affaire. Tout d’abord, l’estimation des domaines était si contestable que le service a éprouvé le besoin de la refaire à titre interne, sans communiquer à la Ville le résultat de cette nouvelle étude. Ensuite, le Tribunal administratif de Versailles s’est fondé, pour écarter notre requête, sur une estimation partielle, inférieure de 1,5 MF à l’estimation réelle. Enfin, l’expert désigné par la Cour, qui a eu de sa mission une conception minimale (puisqu’il n’a pas discuté le prix de vente de la construction), a fait une grossière erreur de calcul qui réduit sa propre estimation de 2 MF !

Le requérant ne voudrait surtout pas laisser entendre qu’il puisse donner, si peu que ce soit, dans une quelconque théorie du complot... Il observe seulement, avec mélancolie, que, comme dans le conte d’Andersen, les hommes ont beaucoup de mal à admettre que “le roi est nu”, ou qu’un maire, responsable d’un service public, ne doit pas être autorisé à vendre à un ami, à un prix de faveur, un bien qui appartient à la collectivité.

 

*

 

J’ai donc l’honneur de confirmer en tous points ma demande d’infirmation du jugement rendu le 14 mars 2002 par le Tribunal administratif et d’annulation de la délibération du conseil municipal de Versailles en date du 28 juin 2001.

 

 

 

 

                                                                                    Henry de Lesquen

 

 

PRODUCTION

 

1. Note de M. Henry de Lesquen à M. Yves Lehuérou Kerisel en date du 27 mai 2004.

 

2. Extrait du rapport d’expertise déposé le 29 juin 2004.

 

3. Calcul de l’expert, après corrections.

 

4. Courrier de M. Jacques de Prunelé, expert agréé près la Cour d’appel de Versailles, en date du 31 juillet 2004.

 

5 à 13. Documents des domaines numérotés (par le requérant) A1, A2, A3, B1, B2, B3, C1, C2, C3.

 

14. Extrait du rapport de présentation du P.L.U. de Versailles adopté le 12 juillet 2004.

 

15. Sensibilité de l’estimation au paramètre prix (six tableaux).

 

16. Extrait de l’hebdomadaire Les Nouvelles de Versailles en date du 21 juillet 2004.