Conclusions du Commissaire du gouvernement, M. Jean-Pierre Demouveaux,

lues à l’audience publique de la Cour administrative d’appel de Paris,

le 25 novembre 2003 (extraits)



(...)

Sur le fond, le requérant soutient, en premier lieu (...), le moyen tiré de ce que le délai de convocation de cinq jours prévu par l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales n’a pas été respecté. Seule la commune est en mesure d’apporter les preuves du respect de ces dispositions et elle s’efforce de le faire (...) en produisant (...) plusieurs attestations de conseillers municipaux soutenant avoir reçu, le jour même, le courrier ainsi adressé. Ces derniers témoignages, rédigés plusieurs mois après les faits dans des termes identiques, sont peu crédibles. Ils supposent en outre des délais d’acheminement postal particulièrement efficaces, puisqu’à les en croire leurs auteurs auraient reçu les plis le jour même de leur expédition. (...)

En second lieu, M. de Lesquen soutient que la délibération qu’il conteste est entachée de détournement de pouvoir. Il s’appuie, pour cela, sur un faisceau d’éléments, parmi lesquels l’absence d’appel à la concurrence pour désigner l’acquéreur, le prix anormalement bas offert pour le terrain et la personnalité même de l’acquéreur, à savoir une société de bâtiments et travaux publics qui a apporté un soutien financier à l’équipe municipale actuelle en 1993 et a été impliquée dans des affaires de financement illégal de partis politiques.

Aucun des comportements de la commune n’est en soi illégal. Une commune n’est pas tenue (...) de procéder à un appel d’offres pour céder un bien foncier lui appartenant et, si elle dispose de plusieurs offres, elle n’est pas tenue de favoriser la mieux-disante (...). Elle n’est pas davantage tenue de céder le bien en question à un prix au moins égal à l’estimation du service des domaines ni d’exclure de la liste des acquéreurs une société s’étant distinguée, par le passé, par sa générosité à l’égard de la majorité actuelle du conseil municipal.

Il n’empêche que ces faits, une fois réunis, laissent une impression troublante et que, seule, l’infinie indulgence du juge administratif, voire sa myopie ou sa surdité, à l’égard des comportements laissant entrevoir des indices de détournement de pouvoir, est de nature à leur ôter toute signification malveillante. D’autant que nous nous accordons avec le requérant pour estimer que le prix de cession paraît bien modique et bien peu convaincantes les raisons avancées par le tribunal administratif pour justifier cette modicité.

Il s’agit certes d’un domaine où vous ne disposez d’aucun moyen d’investigation vous permettant de vous appuyer sur des faits certains et établis plutôt que sur des doutes ou des soupçons. Vous ne pouvez notamment vous substituer au juge pénal non plus que procéder à des enquêtes policières. Mais, en tout état de cause, le prix de cession fixé par le service des domaines constitue un repère qui (...) vous permet de tenir pour acquise l’existence d’un écart entre les éléments d’information dont la commune disposait sur la valeur de son bien et le prix qu’elle a proposé à la société Léon Grosse. La liberté dont disposent les communes dans le choix de l’acquéreur des biens fonciers qu’elles proposent à la vente et dans la fixation de leur prix de cession (...) ne saurait faire oublier le principe selon lequel une collectivité publique ne peut céder à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur que si cette cession est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes (...).

Or nous ne trouvons en l’espèce aucun motif d’intérêt général ni aucune contrepartie, la commune n’ayant même pas songé à en invoquer. Les arguments que celle-ci vous fournit pour justifier le faible montant du prix de cession ne sont guère crédibles, tant le bien en question (...) est idéalement situé au centre de Versailles. Surtout, ils n’ont de justification qu’en vue de la préservation des intérêts propres de l’acquéreur, intérêts qui auraient pu aisément être mis en balance avec les intérêts d’une autre personne privée. Et ce combat entre intérêts privés opposés se serait normalement résolu par une mise en concurrence ou une procédure d’adjudication, qu’il est inconcevable que la commune n’ait pas pratiquée (...).

C’est pourquoi, un intérêt général n’ayant manifestement pas été recherchée en l’espèce par la commune, nous vous invitons à accueillir le moyen tiré du détournement de pouvoir.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué et de la décision litigieuse.